Pointe Noire.
Pointe Noire était un endroit très désert et nous avons entendu des commentaires «Rather you than me» ( Je ne t'envie pas!) . Nous étions en tenue coloniale anglaise mais avec le chapeau australien. Je ne me souviens pas du tout de la réception que nous avons eu à Pointe Noire, mais je pense que nous étions attendu.
Je me suis trouvé dans un monde complètement nouveau et ça me semblait drôle de me trouver dans un endroit où à part un quai et quelques grues, il me semble qu'il y avait rien d'autre sur la côte, à part une très belle plage et des petites baraques en bois pour se changer et aller nager. Nous étions un bon groupe car avec la compagnie il y avait des Chasseurs. Nous sommes descendus du Northumberland par un petit escalier qui était tout le long du côté. Le bateau paraissait très grand à côté de la rade. Je ne sais pas si des jeeps et autres matériels ont été déchargés mais je pense que oui.
Le débarquement a été très vite fait et notre camp n'était pas très loin car il était sur le bord de la mer. Il était composé de baraques en bois occupées par des marins et nous avions pour nous de grandes guitounes. Chaque lit avait sa moustiquaire ! Nous avions commencé à prendre de la quinine sur le Northumberland et pour ma part je n'ai jamais oublié de prendre la dose nécessaire.
Le camp m'a fait très mauvaise impression. Il y avait beaucoup de marins, mais je ne pense pas qu'ils étaient avec nous. S'ils étaient avec nous le rapport m'a semblé froid. Nous sommes restés là quelques semaines. Je ne me souviens pas d'avoir fait un camarade de la marine. La plupart était beaucoup plus âgés que nous et j'ai pensé qu'ils buvait un peu trop.
Pour nous la boisson ne faisait pas une grande partie de notre vie. Il y avait quelque chose de très beau dans notre tenue générale et c'est quelque chose de difficile à définir. C'est sans doute parce que nous étions tous si jeunes et qu'une entente très spéciale avait été forgée.
Il n'y avait pas grand chose à faire en attendant de partir et nous avons formé des petits groupes parmi nous pour sortir à Pointe Noire ou aller à la plage et se baigner. On nous avait expliqué qu'il ne fallait pas aller loin en mer car il y avait des requins. Nous en avions vu en regardant du Northumberland !
Le camp était très sale et mal entretenu. Les latrines étaient dégoûtantes et rarement nettoyées. Je n'ai jamais vu un camp aussi sale. J'ai eu la malchance d'avoir la dysenterie dès 48 heures de mon arrivée quoique j'avais pris bien soin de faire ce que l'on nous avait dit de faire la nuit. C'est à dire de rouler autour de notre ventre un long morceau de tissu qui faisait partie de notre équipement colonial. Je pense que j'ai dû manger quelque chose mauvais. C'était bien dommage et j'ai commencé à me lever plusieurs fois par nuit pour faire mes besoins. Âpres quelques semaines j'ai passé un peu de sang de temps à autre. J'avais la dysenterie et ce n'étais pas une chose rare en Afrique.
J'ai eu des médicaments de temps à autre mais le problème était là et tout le long de mon chemin j'essayais des cures locales de toute sorte de fruit, feuille et ainsi de suite. Presque trois ans plus tard, au Maroc, c'était des figues fraîches ! Je me suis habitué au problème mais il m'a fallu de la volonté et, inévitablement j'ai dépéri physiquement.
Je crois qu'auparavant les FFL (Chasseurs et Chars) avait été séparés et une partie sont partis en direction d'Afrique du sud et je crois la Syrie. Nous sommes retrouvés à Sabratha bien longtemps après.
Nous avons été acheminés par train sur Brazzaville et nous avons laissé les marins dans leur camp. Ca été au revoir au Café Bleu et quelque petits restaurants où nous allions de temps en temps. J'étais content de partir de Pointe Noire. Le voyage par train a été très beau, car il y avait beaucoup de verdure. Le train s'arrêtait de temps en temps et il y avait des fruits à acheter. J'aimais bien les nègres. Je les ai trouvé gais et sympathiques. A Pointe Noire j'avais été frappé par la politesse de ceux qui parlaient français. Quand nous sortions ou quand nous marchions le long de la plage c'était «Bonjour monsieur».
Brazzaville.
Arrivés au Brazzaville nous avons été dans le Camp Colonna d'Ornano, un camp superbe et très bien aménagé. La fierté FFL était là. La nourriture était très bonne et bien servie et nous étions par chambre de quatre environ. Nous pouvions acheter des régimes de bananes très petites et très bonnes et, beaucoup d'autre sortes de fruits.
Brazzaville était une belle petite ville. La nuit nous entendions des villages nègres les tambours et la musique africaine. J'ai trouvé ça très beau et très agréable.
Nous sommes tous passés par les services militaires et médicaux à Brazzaville et c'était très bien. Tout avait une base très digne. Nos papiers militaires ont été mis en ordre et j'ai reçu la petite plaque que j'ai porté toute la guerre autour de mon cou. Il y avait mon nom, numéro d'immatriculation, mon groupe sanguin et le centre de recrutement, (Brazzaville !) Notre chapeau australien a été échangé pour un casque colonial et nous avons gardé la tenue coloniale anglaise complète qui nous avais été fournie avant de partir de Camberley. Nous les avons remise beaucoup plus tard quand nous avons eu l'uniforme américain.
La compagnie de temps à autre était menacée. Il fallait des hommes pour ceci ou pour cela et nous n'avions pas de chars comme évidence que nous étions une compagnie formée.
Il fallait qu'un détachement parte pour la Syrie ou le Liban. Nous avons perdu des camarades qui n'ont pas eu de choix; Jacques Passy, le fils d'un officier anglais; Maurice Jean-Renaud qui était venu d'Amérique du Sud avec le Lieutenant Davreux; Armand Peurier et bien d'autres bons camarades. Le choix n'était pas là. Nos camarades et des chasseurs sont partis très vite, en passant par l'Afrique du Sud. J'ai eu la chance de rester.
Nous sommes restés plusieurs semaines à Brazzaville et j'ai eu des médicaments pour ma dysenterie. En attendant de partir nous ne faisions rien mais le temps passait vite car tout était si nouveau. Notre tenue était impeccable et c'était un grand plaisir d'être parmi des camarades si digne. Nous sortions à Brazzaville et quand il faisait trop chaud nous prenions un pousse-pousse tiré par un nègre. La population nègre à Brazzaville était très polie et très agréable et, c'était réciproque. Tous les services était extrêmement bien organisé.
Nous sommes allés à Léopoldville deux fois à travers le très grand fleuve qui séparait Brazzaville à Léopoldville. Mon souvenir du nègre du Congo Belge est qu'il était plus avancé que celui de l'AEF. Il avait aussi un physique superbe.
Quand nous étions à Brazzaville il est arrivé parmi nous un jeune suédois de 20 ou 21 ans qui parlait très mal français. Je ne sais pas d'où il est venu, soit où il est allé mais je ne l'ai pas vu après Brazzaville. Il s'appelait Ulf Ragnar Guillaume Berg. Nous avons fait chambre ensemble. Je me souviens toujours du jour où il s'est couché pour faire la sieste et a trouvé un ou deux lézards dans son lit. Les lézards aimaient beaucoup nos lits. Berg c'est attaché à moi et je faisais de mon mieux pour l'aider. Séleskovitch passait beaucoup de temps à lui faire du français. Sélesko se rappelle peut être ce que Berg est devenu.
A Fort Archambault Par Bateau à Aubes et Camion.
Un beau jour nous sommes partis vers le Fondère pour aller jusqu'à Bangui. Attaché au Fondère était deux péniches avec un nombre de Jeeps et camions que nous devions emmener jusqu'à Fort Lamy.
La population européenne a été très chic le jour de notre départ de Brazzaville et ils sont venus en grand nombre. Ça a été un grand jour pour nous comme pour eux. Je crois que nous avions avec nous quelques chasseurs qui allait au Tchad. Notre adieu à Brazzaville reste un très beau souvenir et la population européenne, nombreuse, nous a fait un très beau départ.
Le voyage sur le Fondère a été très agréable. Ce bateau à aubes était très bien aménagé et la nourriture excellente, servie dans un très beau réfectoire. Nous avions des cabines mais en général je dormais sur le pont. Les nuits étaient très belles. Dans la journée nous pouvions admirer toute la forêt le long du fleuve et de loin on pouvait voir toutes sortes de singes dans les arbres. Certains étaient énormes et, c'était tout nouveau.
De temps à autre nous arrêtions pour prendre du bois de chauffage et à ces moments là il y avait beaucoup de nègres de la côte Congo qui venaient sur leurs pirogues pour nous vendre toutes sortes de choses en bois ou en ivoire. Leur travail était très beau et nous avons commencé à acheter des souvenirs comme si nous allions bientôt rentrer chez nous.
C'était très agréable quand nous nous arrêtions le long du fleuve et nous allions à terre. A Pointe Noire, Brazzaville et ainsi de suite le Lieutenant Michard était très intéresse par les missions. Nous avons fait escale de place à autre pour prendre du bois et des provisions et le Lieutenant Michard qui était un clerc minore a eu la grande joie de visiter une des missions à une des escales sur la côte française de la rive. Je suis allé avec lui et nous avons trouvé des bâtiments très beaux dans un très grand calme. Le Lieutenant Michard a beaucoup apprécié et il a beaucoup parlé avec les pères. C'était très beau.
Le voyage vers Bangui, contre le mouvement du fleuve, a pris environ une semaine et ça a été bien agréable [Émile Fray m'a dit que, en fait, c'était voyage de 12 jours. Les bateaux seulement parcourue par la lumière du jour à cause des bancs de sable dangereux.]. Arrivé à Bangui nous avons déchargé les Jeeps et camions et nous sommes allés dans un autre très beau camp bien tenu. A Bangui il y avait déjà des camions et camionnettes autres que celles que nous avions apporté avec nous. J'ai deux très vifs souvenirs de Bangui. Un d'eux est les douches glacées, tellement froides qu'elles étaient insupportables. L'eau venait de la montagne ! L'autre souvenir est le réfectoire où il y avait un phono et quelques disques que j'aimais beaucoup jouer. Nous passions les soirées à parler ensemble et a écouter des disques sur le phono dans la cantine. Un de nos meilleurs compagnons était un jeu de Monopoly qu'un camarade avait amené d'Angleterre.
Nous ne sommes pas restés à Bangui très longtemps ( une semaine ou deux). Nous étions deux ou quatre dans une Jeep et nous conduisons à tour de rôle. Il y avait une poussière énorme ! Aux abords de Bangui il y avait des lions qui se promenaient le long de la route et, je pense qu'ils avait bien mangé car nous ne les intéressions pas du tout. Il y avait beaucoup de gazelles et par nécessitée nous en tuions pour manger car nous n'avions pas de viande parmi notre ravitaillement à part du "corned beef". Nous n'étions pas malheureux question nourriture.
Quand nous avions été à Léopoldville Henri Caron avais acheté une grande caisse de bouteilles de bière qu'il partageait avec nous. Je ne buvais pas d'alcool mais je buvais un peu de bière sur la route que nous avons prise pour aller à Fort Archambault, quand nous arrêtions le soir.
J'avais toujours ma dysenterie et j'étais sujet à des maux de tête. Henri Caron veillait sur moi et me donnait un peu de sa bière le soir. De temps à autre le Lieutenant Michard me disait qu'il fallait que je boive un peu d'alcool mais je n'y tenais pas. Le Lieutenant avait une bouteille de liqueur Curaçao et j'en buvais un peu de temps à temps.
De temps à autre nous traversions un village nègre et quand nous y arrêtions nous étions toujours fêtés avec tambours et ainsi de suite. Les hommes et femmes était très agréable et gais et ils aimaient bien rire. De temps à autre nous rencontrions un européen mais, c'était plutôt rare. Je ne me souviens pas combien de temps nous avions mis pour aller de Bangui à Fort Archambault. Le matériel était en rodage et ça a pris quelques jours. Nous sommes partis par groupe de quatre ou cinq véhicules, espacé de quelques jours. Nous nous sommes retrouvées à Fort Archambault.
Fort Archambault.
Fort Archambault était une gentille petite ville militaire mais avec pas mal de civils européens. Il y avait des beaux jardins à légumes le long du fleuve ainsi que quelques petits magasins indigènes.
Là, nous avons rencontré une compagnie du Régiment de Tirailleurs Sénégalais du Tchad, qui est resté longtemps avec nous, jusqu'à notre départ du Nigeria. Ils était très bien bâtis et très disciplinés. Le sergent et son capitaine avaient une autorité énorme. Je me souviens qu'au début le sergent avait toujours ses trois ou quatre femmes et ses enfants près de lui mais quand nous sommes partis du Tchad, elles sont restées sur place.
Pendant notre séjour à Fort Archambault le matériel que nous avions conduit jusqu'à Fort Archambault nous a servi pour donner des leçons de conduite à certains tirailleurs. Les débuts de leçon de conduite ont été difficiles. Il y avait beaucoup d'arbres le long des routes et nous avons vite appris qu'il fallait donner des leçons dans les routes sans arbres ou quoique ce soit.
Je ne sais pourquoi mais Fort Archambault a été un autre problème pour la compagnie. Je crois qu'il fallait des cadres pour les compagnies de tirailleurs. La plus grande partie de la compagnie est partie pour ainsi dire immédiatement sur Fort Lamy mais un tout petit groupe d'entre nous est resté. Ça a été une séparation difficile à accepter mais il n'y avait rien à faire. On nous a dit que nous irions à Fort Lamy plus tard.
Comme nous restions là je me suis payé un "boy" qui faisait ma lessive et mon repassage. C'était un garçon appelé "Guéché" qui avait évidement une maladie vénérienne quoiqu'il ait dans les 16 - 18 ans. Il était très chic et l'argent lui rendait service. Je dépensais presque rien de ma solde et quand nous sommes partis, je lui ai donné tout mon argent, dans les 600 francs. Il est venu au départ du camion avec beaucoup de «Merci monsieur». J'espère qu'il aura eu une bonne vie. Il l'a méritait.
Ceux qui étaient restés à Fort Archambault étaient:
Lieutenant Imbert, Frédéric Rio, Gaston Eve, René Leleu, Léon Baudon, Creusat, René Alençon, François René Tracqui, Michel Huguet et Milano Maurinkovitch.
A part le Lieutenant Imbert nous étions dans une grande baraque faite entièrement en herbe, paille et des grandes feuilles. Elle était entièrement africaine. Les commodités étaient très simples.
Quand nos camarades sont partis sur Fort Lamy, les camarades qui restaient m'ont demandé de faire une lettre pour le Capitaine Ratard lui expliquant que nous tenions à faire la guerre sous son commandement et, de lui demander de veiller sur nous. J'ai envoyé la lettre par l'intermédiaire de quelqu'un qui partait sur Fort Lamy. [A la main pour éviter le censeur militaire!]
La vie à Fort Archambault était très monotone et nous passions notre temps tant bien que mal. Nous faisions de notre mieux pour être occupé. Dans la soirée nous allions nous baigner dans la rivière qui longeait Fort Archambault et nous faisions bien attention aux crocodiles. L'eau n'était pas bien claire mais c'était pour le meilleur car il faisait très chaud. Pendant que nous étions à Fort Archambault je ne faisait pas beaucoup de défenses ne buvant pas et ne fumant pas. De ce fait j'ai acheté la série complète de timbres postaux de l'Afrique Française Libre et je les ai toujours, ainsi que la deuxième série de ces timbres ainsi que ceux du Cameroun Français Libre.
Un très beau camion qui a servi d'école de conduite pour les tirailleurs avait été conduit dans un arbre ou un mur et il ne marchait pas car le devant était très abîmé. Nous n'avions commit rien du tout mais Huguet et moi avons demandé si nous pouvions essayer de réparer la carrosserie et chaque jour, pendant plusieurs semaines nous nous y sommes tenus. Il y avait un manque d'outil nécessaire mais nous avons réussit à redresser le capot, les ailles et ainsi de suite tout bien que mal. Malgré toute notre persistance nous sommes partis de Fort Archambault sans compléter la tâche car il était bien cabossé. Il nous a fallu beaucoup de volonté pour persister car il faisait chaud.
Une nuit quand nous dormions tous sous les moustiquaires nous avons tous été réveillé simultanément car nous étions attaqués et piqués. C'était des fourmis noires et énormes qui faisaient beaucoup de mal. Elles venaient toutes de l'extérieur, en plusieurs lignes considérables. Nous n'avons pas pu les arrêter de venir et la nuit a été blanche. Quand le jour est venu, il nous a été impossible de les faire changer de route. Nous les avons arrêté temporairement en écrasant avec nos pieds mais celles qui suivaient ont continué jusqu'à ce qu'il y ait une boule de fourmis aussi grosse qu'un ballon de football. Après cela elles ont passé à côté et elles ont repris leur chemin.
Elles étaient en plusieurs files et nous avons dû nous servir d'essence. Nous en avons tué des quantités énormes et au bout d'une heure ou deux leur progression a été arrêtée. Il n'y a pas eu d'autres moyens. Elles ne sont pas revenues dans notre baraque mais notre premier combat a été contre des fourmis et a été une défaite !
Quelques semaines plus tard nous avons été déplacés dans un bâtiment en briques vers le centre de Fort Archambault. Heureusement pour nous un de mes camarades avait laissé son jeu de Monopoly. Cela nous a aidé beaucoup à passer le temps. Il faisait très chaud le jour et froid la nuit et je mettais toujours la bande de tissu autour de mon ventre la nuit. J'avais des médicaments pour la dysenterie et cela m'aidait un peu. Parlant à des coloniaux j'ai appris que les indigènes faisait une espèce de bière qui était bonne pour la dysenterie. J'allais dans un petit village à côté de Fort Archambault en acheter de temps à autre. Ce n'était pas très appétissant mais j'avais besoin de trouver une solution même si elle ne marchait qu'a moitié.
Les semaines passaient et nous attendions toujours. Le Lieutenant Imbert venait nous voir constamment. Je crois que le Sergent Chef Raveleau était lui aussi avec nous. Nous étions un petit groupe bien uni.
Une Excursion à Mongo.
Un jour le Lieutenant Imbert m'a dit qu'il m'avait désigné pour accompagner un capitaine d'infanterie, un sous officier et, une dizaine de tirailleurs pour aller chercher des hommes pour former une compagnie de tirailleurs. Il m'a dit que nous serions partis une quinzaine de jours et que lui et mes camarades seraient toujours là à mon retour.
La nouvelle était bonne car notre vie à Fort Archambault était très monotone. Ça devait être, aussi une épopée car nous allions de Fort Archambault jusqu'à Mongo qui était prés de la frontière avec le Soudan. Je crois que ça faisait 600 - 700 kilomètres (le double en tout pour aller et revenir). Nous sommes partis dans environ dix camions Dodge américains. Les camions étaient conduits par des conducteurs nègres de profession. Il n'y avait pas de route mais, simplement des pistes. Le plus grand méconfort a été que les sièges des camions avaient de très bons ressorts et, sur les pistes, nous rebondissions et rebondissions sur les ressorts. Ça a été comme ça tout le long du trajet.
Nous avions des provisions pour nous même et pour livrer à Melphi où il y avait un administrateur et, aussi à Mongo. Nous avions aussi de l'eau et tout l'essence nécessaire pour le voyage aller et retour.
Nous étions en route de bon matin mais il faisait vite chaud. Nous arrêtions pour manger le midi et finissions la journée avant la tombée de la nuit. Il y a eu un trajet très monotone la plupart du temps car il y avait très très peu de villages sur le chemin. Nous avons vu beaucoup d'animaux sauvages et, en deux fois deux grands convois de chameaux chargés. Il y en avait des centaines. Le bruit de nos moteurs n'a pas fait du bien à ces caravanes car les chameaux avaient peur. Le soir nous nous arrêtions dans un village et nous étions reçus avec beaucoup de curiosité.
Le capitaine sortait sa chaise de son camion et s'asseyait à une place promenant et recevait le chef et autres personnalités du village. Un des tirailleurs faisait l'interprète et tout marchait bien. Quand c'était un grand village le chef avait sa retenue avec lui et portait beaucoup de couleur. C'était un événement pour eux comme pour nous. Le Capitaine avait apporté des cadeaux pour ces occasions prévues et, je pense qu'il en recevait lui aussi, mais je ne m'en rappelle pas. Pour moi c'était très impressionnant. Pour le Capitaine qui était en AEF depuis longtemps c'était tout à fait normal et il jouait un rôle avec dignité.
Nous mangions assez tard le soir près d'un feu et à la lumière des lampes à pression que nous avions avec nous. Nous avions une table pliante et des chaises pour nous trois et il y avait toujours autour de nous beaucoup d'hommes, femmes et enfants du village qui nous regardaient manger. Tout le monde était très gai et ceux qui nous regardais était très riants et aimaient les petites blagues que nous faisions de temps en temps.
A part ma tenue coloniale je n'avais pas apporté quelque chose de chaud pour mettre le soir quand il faisait très froid. Le capitaine, voyant que j'avais froid, m'a prêté sa peau de mouton chaque soir. Il a surtout fait froid la nuit quand nous étions dans les régions montagneuses car nous avons traversé des montagnes. Les nuits à la belle étoile, avec un ou deux tirailleurs de garde, étaient agréables.
Avant d'arriver à Melphi nous sommes arrivés à un endroit où il y avait une assez grande habitation de paille, feuilles et ainsi de suite entourée d'une très haute palissade de fabrication locale pour la protéger des animaux sauvages la nuit. Je ne sais pas ce que cet homme et sa femme faisaient en là. Ils avaient des africains avec eux et quand nous sommes arrivés, ils ont été à la chasse pour tuer un cochon sauvage. Il nous a servit de très bon repas.
Notre arrivée à Melphi après avoir été bien secoué pendant plusieurs jours a été très agréable. Melphi était assez grande et il y avait là un administrateur français dans une très belle maison africaine. Je crois qu'il avait une belle vie car la maison étaient grande et bien meublée et il avait des servants et cuisiniers. Nous sommes restés là deux jours et il recevait des personnes individuellement ou en groupe à son bureau.
La cuisine était très bonne et les servants en tenue. Les repas étaient très agréables. Il avait avec lui une très belle femme peau café au lait du Cameroun et il semblait attaché à elle. Elle allait et venait dans la maison et mangeait avec nous. Elle avait un visage superbe et elle était respectée par lui. Je ne sais pas ce qu'il a fait quand son tour de service s'est terminé.
Melphi était dans un coin montagneux et rocailleux et était sur un plaine. C'était très beau de voir Melphi au milieu de tout cela. Il y avait de l'eau et tout le monde semblait en bonne santé parmi la population. L'administrateur avait un phono avec des disques de musique classique et il avait une pièce de violon qui me plaisait beaucoup. Elle m'est revenue parfois en tête mais, pas au moment d'écrire. Elle revendra sûrement. [Je pense qu'il s'agit de "Méditation" de Massenet parce que mon père a tellement beaucoup aimé cette pièce de musique]
Nous sommes partis sur Mongo, dans une région très très désertée, par piste. Je crois que nous sommes arrivés en deux jours à Mongo. Mongo était un petit village entièrement africain, entouré de collines en pierre et, semblait pauvre quoique les Africains étaient de très beau physique, hommes et femmes. Il y avait à Mongo un européen et je pense que lui aussi était administrateur. Son habitation était beaucoup moins belle que celle de Melphi mais, elle était bien fraîche.
Nous sommes arrivés dans la nuit et, il a du nous voir venir de loin avec nos phares ! Le lendemain matin des centaines d'hommes de Mongo ont été rassemblés au milieu de ce petit village africain et je me souviens de la suite avec tristesse car ça a été très vite fait. Les hommes ont été mis en rang et leur chef leur a parlé après quoi ils ont l'indignité de devoir retirer tous les habits ( en général un pantalon ou une longue robe). Le capitaine est passé le long des rangs, certains avaient des difformités considérables, et il a désigné le plus beau physiquement et ils ont été dirigés dans un coin.
Cela fait, tous les autres sont partis. Le but de l'inspection avait du être expliqué car il y avait beaucoup de femmes là. Elles étaient toutes habillés dans leur plus beau, avec des belles coiffures africaines.
Il avait évidement été décidé que le choix fait, il faudrait partir immédiatement, autrement certains ne serais pas là le lendemain matin. Les camions sont venus. Les tirailleurs les ont fait monter dans les camions de leur façon très autoritaire, fusil à la main. Il y avait deux ou trois tirailleurs par camion. Voyons ça les nombreuses femmes se sont précipité autour des camions et ont commencé à pousser des cris africains et à pleurer car la séparation immédiate était évidente. Elles couraient autour des camions pour retrouver leurs hommes ou fils et les hommes pour leur part essayaient de faire au revoir avec dignité.
Nous sommes partis en quelques minutes parmi tous ces cris et larmes. Les femmes ont commencé à courir après les camions tout qu'elles ont pu. Je n'ai jamais revu une telle scène de misère si brusquement accompli. Notre retour à Fort Archambault a été différent. Le soir quand nous nous arrêtions c'était en pleine brousse et pas dans un village. Je pense qu'autrement nous aurions perdu nos hommes qui dormaient entre le carré de camions avec plusieurs tirailleurs de garde. Je ne sais pas ce que les tirailleurs sont devenus, j'espère qu'ils ont tous survécu, sont retournés chez eux après la guerre et ont repris leur vie.
Nous sommes passé par Melphi et nous n'avons arrêté que quelques minutes (peut être une heure). Nous sommes bien arrivés à Fort Archambault. Ce voyage a été très fatigant à cause des pistes que nous avions suivies. Tout le monde était très sale et couvert de poussière. Les nègres étaient très fatigués de tous les mouvements dans les camions.
Encore à Fort Archambault.
Après ces quelques jours je connaissais de vue les hommes de Mongo et ils me connaissais aussi. Pendant les deux ou trois semaines que j'ai été à Fort Archambault avant de partir pour Fort Lamy j'en ai vu de temps à autre dans la rue. Ils étaient très beaux en tirailleur et je crois qu'ils était content. Quelque uns m'avait après salué mais ils n'avait pas compris encore qu'ils pouvait saluer en marchant. Quand ils me voyait venir, ils s'arrêtaient à quelques pas devant moi et faisaient un beau salut que je leurs rendais. Après quoi ils reprenaient leur marche. Ça a duré quelques jours comme ça.
Je garde un vif souvenir des hommes de Mongo. Ils avaient un grand cœur. J'espère que tous sont rentrés chez eux la guerre finie et que les femmes ont pleuré de joie et poussé leurs cris pour la même raison.
Les quelques uns d'entre nous qui étaient restés à Fort Archambault ont passé Noël 1941 là. Nous avons fait un arbre de Noël en mettant du coton sur des branches d'arbre sèches. Nous avons acheté trois ou quatre bouteilles de vin. Nous avions Alençon parmi nous et ils nous ont fait un repas. Nous avons mangé ensemble sous un superbe clair de lune auquel nous étions habitués. Ça à été mon premier Noël avec mes camarades. C'est le seul dont je me rappelle.
Pendant notre séjour à Fort Archambault il y a eu de grandes fêtes indigènes et j'ai trouvé l'ambiance, le bruit, les tambours et les instruments de musique (très simple) très intéressants. J'ai toujours été attiré par l'ambiance de ces occasions et je garde un vif souvenir de la poussière, des petites filles et jeunes femmes nues qui approchaient le chef de tribu, avec son entourage, en dansant et criant. Ces occasions avaient beaucoup de couleur et duraient plusieurs heures.
Nous avions un poste de radio et la réception était très bonne la nuit. Nous écoutions les nouvelles de Londres en Français précédé du son du "V" au tambour "di di di daaaah" et aussi de la 5e Symphonie de Beethoven qui même maintenant évoque un grand souvenir. Les nouvelles étaient très mauvaises. J'avais toujours bon moral mais je me demandais si nous allions un jour rentrer chez nous. Les Allemands étaient à Moscou, Stalingrad et ainsi de suite. C'était la retraite en Libye. Ça faisait du bien d'écouter "Les Français parlent aux Français" et, d'y puiser de l'espoir car, le chemin allait être bien long.
J'avais la chance de recevoir des lettres de mes parents. Mes camarades n'avaient pas la même chance que moi. J'ai toujours beaucoup admiré leurs persévérance et je me suis fait un devoir de leurs donner confiance et de ne jamais montrer de désespoir ou de manque de confiance en la victoire ultime. [Parce que la France Libre est proscrite, les recrues ont vécu quelques ans sans aucun contact familial]
Voyage à Kano par Fort Lamy [Ndjamena].
Après plusieurs mois le Lieutenant Imbert nous a dit que nous allions rejoindre la compagnie. Nous parlions parmi nous de temps à autre et nous avions décidé que quoique ce soit, nous accepterions rien d'autre. Nous étions heureux de la nouvelle. Nous sommes partis sur Fort Lamy avec du matériel qui était arrivé de Bangui.
Comme tous les déplacements au Tchad ça a été une grande poussière mais, Fort Archambault étaient une ville militaire, sans le grand au revoir de Brazzaville. Nous sommes partis en convoi comme si nous n'avions fait que cela toute notre vie.
Nous faisions toujours bien attention à porter notre casque colonial tout le temps. J'ai un vif souvenir que entre Bangui et Fort Archambault un des camions est tombé en panne et un des mécaniciens parmi nous a retiré son casque colonial pour le réparer, en se mettant sous le camion. Très peu de temps après il s'est senti mal ayant attrapé un coup de soleil et, deux ou trois jours plus tard il était mort. Je crois que c'était un petit gars qui s'appelait Omnes. Le casque a été de grande rigueur après.
Il a été bon d'arriver à Fort Lamy qui était une ville beaucoup plus importante que Fort Archambault. La vie militaire était très bien organisée et tout était très propre. Nous sommes restés là quelques jours. Toute la compagnie était à Kano et on nous a dit que nos nouveaux chars étaient déjà arrivés là. C'était vraiment une grande nouvelle.
La manière de notre déplacement n'a pas été compliquée. Nous n'avions aucun transport, mais une compagnie nigérienne avec des conducteurs indigènes faisaient transport de toute sorte de matériel Kano / Fort Lamy / Kano. Les camions étaient complètement chargés au maximum. Notre seul moyen a été de mettre notre sac sur ce qu'il y avait sur le camion et de nous sommes assis sur le tout. J'ai pu parler un peu anglais avec les Nigériens et cela m'a semblé drôle. La distance était grande et ça n'a pas été le plus confortable des voyages mais nous faisions face à tout sans question.
Le soir les camions s'arrêtaient à des endroits spécifiés pour les transports. Alençon nous faisait manger et nous dormions profondément. Le tout demandait beaucoup de volonté car le soleil était fort et la poussière très épaisse. Les pistes n'était pas des routes et nous étions bien secoués.
Gaston Eve.