A Châteauroux j'ai eu l'honneur de recevoir la Croix de Guerre des mains du Général Leclerc, à cause de ce que nous avions fait à Grussenheim. J'ai défilé à Paris sur le Montmirail qui avait deux bagues au canon, et, sur le côté de Montmirail, nous avions fait peindre «Lieutenant Michard». Notre tireur, Étienne Florkowski, était devenu Chef de Char, Paul Lhopital était passé Tireur, et Pierre Mengual, Chargeur. Mon co-pilote était toujours le jeune Marc Casanova.
Depuis que nous avions reçu Montmirail à Casablanca, Il n'a jamais tombé en panne. Il avait reçu trois obus perforants et vu bien d'autres le frôler. Il n'était pas seulement un engin d'acier, car sans lui, nous n'aurions rien fait pour libérer la France. Pendant nos déplacements, quand nous roulions sur une route surélevée, j'ai aperçu devant moi une partie de la chenille qui était cassée. Même Caron n'avait pas prévu cette situation. J'ai tiré sur les deux freins, mais évidemment Montmirail a viré à gauche et est tombé tout doucement et gracieusement sur le côté, dans le champ qui bordait la route. Il s'est renversé très lentement et personne n'a eu de mal. Un char de l'atelier nous a remis sur chenilles mais se fut un gros travail.
A ce moment-là, le Capitaine de Witasse m'a demandé si je voulais être Chef de Char Iéna II. Je lui ai répondu oui sans hésitation. J'ai donc quitté mes camarades du Montmirail avec beaucoup de regret, mais ce char est resté dans mon cœur.
Sur IÉNA II, J'avais des camarades très chics et très braves : le Pilote, Maurice Amzallag, qui nous avait rejoint à Sabratha, Jean Brisse, Philippe Bey-Rozet, André Beaufils et Georges Dornois. Je savais qu'ils avaient confiance en moi et cela m'encourageait. [ Amzallag a été Pilote de l'Iéna 2 pour les deux premiers mois, mais a été gravement brûlé et, a dû être remplacé par Brisse. ]
Avant de partir pour l'Allemand, il nous est arrivé un malheur. Je voulais avoir un char toujours très propre, surtout le moteur que nous avons nettoyé avec de l'essence, ce que j'avais déjà fait sur Montmirail ( à moteur Diesel ). Nous nous trouvions sur la plage arrière lorsque j'ai demandé à Amzallag de mettre le moteur en marche. J'étais penché sur le moteur quand il s'est produit une énorme explosion d'essence. Nous avons tous sauté à terre et Jaouen, du Romilly, qui par bonheur se trouvait dans les environs, a déclenché les extincteurs. Le moteur n'a eu aucun dégât, Amzallag, Bey-Rozet, Beaufils et moi, nous sommes retrouvés à l'hôpital. J'étais brûlé à la figure, je n'avais plus ni cils, ni moustache, ni sourcils et mes cheveux partaient par poignées. Odette, à qui j'avais écrit, est venue me voir à l'hôpital, mais ne m'a pas reconnu. Ma figure était devenue toute noire. Quand elle est repartie j'ai voulu l'embrasser mais je lui faisais peur et mes lèvres elles aussi étaient abîmées. Au bout d'une vingtaine de jours, Amzallag est venu me dire que la Compagnie partait le lendemain. Les infirmières m'ont fourni un uniforme, je suis parti avec Amzallag, et nous avons rejoint Iéna II. Je n'étais pas beau et ne pouvais porter mon béret.
En Allemand, la première ville traversée était complètement détruite. Notre avance a été très rapide et presque sans arrêt. Le déplacement de la DB et le ravitaillement étaient superbement organisés. A un moment, il est tombé beaucoup de neige, il faisait froid et je me suis demandé si nous allions nous battre comme à Grussenheim. J'étais plein d'appréhension. Pourtant, il n'y a pas eu de combat. Les Allemands, le long des routes, se rendaient par unités entières.
A un moment, nous sommes entrés dans une maison pour demander des confitures. La seule occupante de la maison était une dame d'une quarantaine d'années, bien habillée, très allemande. Elle nous a déclaré qu'elle n'avait pas de confitures. Un de nous est allé dans le garde-manger et a trouvé deux beaux pots qu'il a rapportés. Il lui en a versé un sur la tête, et nous avons mangé l'autre.
A Munich nous avons trouvé le train de Goering, blindé. Il était fort beau et bien aménagé, avec une belle cave, lui aussi, de très belles chambres, un restaurant, un salon, des salles de conférences, des salles de bain.
[ Cette section est une copie d'un compte rendu officiel de Gaston Eve, maintenant dans les archives de la Deuxième Division Blindée Française au Fonds Historique Marechal Leclerc de Hautecloque, Paris. ]
Nous sommes arrivé à Berchtesgaden dans l'après-midi du 4 mai 1945 et nous nous sommes répartis dans des chalets occupés par des familles très aisées.
Avec la grande dignité que le Général Leclerc nous avait demandé d'avoir dans notre conduite en Allemagne, j'ai demandé avec mes quelques mots d'allemand, un peu d'anglais ou de français aux occupants du chalet où allait être hébergé l'équipage du Iéna II et où trouver à manger et des lits. Nous n'avons eu ni repas, ni lits, car, à ce moment-là, j'ai reçu l'ordre de rejoindre un sous-groupement qui devait partir immédiatement pour l'Obersalzberg.
Le sous-groupement [ Appelé par code "Messiah", commandé par de Florentin ] était composé d'environ quatre half-track du RMT [ "Régiment de Marche du Tchad" ], du char Ulm, commandé par mon camarade Eugène Séleskovitch et de mon char que je commandais depuis trois mois, ayant été avant cela, de l'équipage du Montmirail (Je détiens une photo du Iéna II au départ). Je ne me rappelle pas qui commandait le sous-groupement mais ce n 'était ni Séleskovitch ni moi car nous n 'étions que sergent.
Le sous-groupement partit en ordre de combat car nous ne savions pas ce qui nous attendait le long de la route ou dans l'Obersalzberg, L'Ulm avait été désigné char de tête et mon char était immédiatement derrière lui. C'était toujours la tactique pour le premier et le deuxième char. Nous savions le destin possible pour nos deux chars mais rien ne nous aurait fait céder notre place ce jour-là,
Le départ de Berchtesgaden se fit par une route qui serpentait à la base de la montagne. Après un certain temps, que je ne peux pas spécifier maintenant, la route est entrée dans le bois qui couvrait toute la montagne.
De temps à autre, l'Ulm que je suivais de très près en cas de combat, était obligé de quitter la route pour des raisons dont je ne souviens pas. Je le suivais dans un détour de la forêt et il rejoignait la route un peu plus loin,
La montée dans l'Obersalzberg a pris assez longtemps il me semble, et a mi-chemin environ, j'ai vu l'Ulm glisser dans un fossé et ne plus pouvoir en ressortir, soit la longue de la route, soit dans la forêt. Il était entouré d'arbres ou avais des arbres très près de lui.
J'ai arrêté Iéna II immédiatement mais j'ai dû avoir ordre de continuer la montée car je ne suis pas sorti du char et je n'ai pas parlé avec Séleskovitch [ Pendant que l'Ulm passait au-dessus un pont il s'est effondré. Commandant de Florentin a commandé l'Ulm pour être abandonné. ]. Halftrack et char sont donc passés à côté de l'Ulm et la montée s'est poursuivie. Grand dommage pour Séleskovitch et moi qui avions fait un si long chemin ensemble depuis notre départ de Liverpool en août 1941 avec la 2ème Compagnie de chars de la France Libre de notre premier commandant le Capitaine Ratard. Grand dommage surtout pour toute la camaraderie entre équipages.
En arrivant au sommet de cette partie de la montagne, je me suis aperçu que des arbres avaient été endommagés par des explosions de bombes car il y avait des cratères de place en place. Encore plus haut, la route tournait brusquement à droite et j'ai vu, devant nous, là que la route continuait en ligne droite, une grande barrière en métal qui était fermée et, à côté de cette barrière, une guérite pour sentinelle.
Le sous-groupement a suivi la route qui allait à droite et, immédiatement après le tournant, j'ai vu que beaucoup d'arbres étaient couchés le long de la route. Il y avait un ou deux chalets très endommagés et beaucoup de cratères de bombe très profonds. J'ai su après que la RAF était passée par-là en avril. Un peu plus loin à gauche, il y avait un tournant à gauche et dès que nous l'avons pris, nous nous sommes trouvés au sommet de cette partie de la montagne.
A ce moment, j'ai vu des bâtiments immédiatement à gauche de la route. Il y en avait trois ou quatre. Je crois que tous étaient intacts. En regardant plus loin, à l'arrière de ces bâtiments, j'ai vu un grand chalet sévèrement endommagé et partiellement brûlé. Plus loin, à sa droite et à sa gauche, il y avait des chalets très endommagés. J'ai arrêté Iéna II devant le plus grand bâtiment à gauche de la route. Ce bâtiment était intact. Je ne me souviens pas quels ont été mes ordres mais ils ont dû être de vérifier les bâtiments pour être sûr qu'il n'y avait personne et aucun danger sur place car c'est ce que nous avons fait.
Quatre des cinq membres de l'équipage de Iéna II sont sortis du char et nous sommes entrés dans le plus grand des bâtiments. Je pense que la double porte était ouverte car je ne me souviens pas que nous avons eu à la forcer. Nous nous sommes trouvés dans le hall d'un hôtel. Tout était impeccable et les fauteuils, tables, chaises, etc., en place. Au fond de ce hall, il y avait une réception et nous avons vu que nous étions dans le Platterhof Hôtel. En traversant le hall, nous nous sommes trouvés dans un restaurant. Là aussi, tout était impeccable. Tables et chaises étaient parfaitement placées. Tout était très propre. Ceux qui avaient été les derniers à partir parmi les employés avaient fait leur travail habituel. En traversant le restaurant, nous avions trouvé une porte qui menait dans une cuisine qui, elle aussi, était impeccable avec tout son équipement parfaitement rangé. Au fond de la cuisine, il y avait une porte qui menait à un escalier qui descendait dans le sous-sol. Nous nous sommes trouvés dans une superbe cave avec des rangées de cadres pleins de bouteilles de toutes sortes, mais surtout des produits français. Tous les casiers étaient absolument complets et tout étaient en ordre parfait. Voyant tout ceci intact nous savions que nous étions les premiers militaires dans l'Obersalzberg !... Nous savions que nous avions gagné le gros lot !... Mais nous avions encore à faire et nous avons tout laissé sur place pour le moment.
De là, nous sommes retournés dans le hall pour monter au premier étage afin de là vérifier et être sûrs qu'il n'y avait personne. Là, nous avons trouvé toutes les chambres. Elles étaient toutes dans un désordre total. Tous les lits avaient été occupés. Les pots de chambre contenaient de l'urine et autre et cela devait avoir été un départ rapide. Après cela, nous avons vérifié, les alentours de l'hôtel.
Ensuite, nous sommes montés dans Iéna II pour aller dans le grand bâtiment partiellement détruit et brûlé. Nous avons pris la route qui nous menait à la barrière et à la guérite que nous avions vues lors de la montée. Nous n'avons pas eu à forcer cette barrière et quand le char l'a traversée, j'ai reconnu de grands bâtiments que j'avais souvent vu dans les actualités quand j'allais au cinéma en Angleterre avant la guerre. C'était la résidence officielle de Hitler, là que il recevait tous les diplomates lors de tous les événements et négociations des années trente. Le grand escalier qui menait à l'entrée principale n'était plus là. Les fenêtres de devant jusqu'au balcon étaient démolies. Il y avait beaucoup de dégâts sur le côté. Les alentours étaient déserts.
Nous sommes montés vers l'entrée principale. Là nous avons pris un escalier qui nous menait au premier étage. En tournant à droite, en haut de cet escalier, nous nous sommes trouvés dans le grand salon avec ce grand balcon qui dominait une superbe vue de l'Autriche d'avant guerre et que j'avais vu aussi dans les actualités au cinéma. Les murs étaient intacts.
Il n'y avait pas un tableau et pas un meuble dans cette grande pièce, à part un très grand canapé à peu près aux deux tiers du chemin vers le balcon. Nous avons traversé la pièce pour aller jusqu'au balcon (j'ai vu une vidéo qui nous montrait une table et des chaises devant le balcon; elles n'étaient pas là quand nous sommes entrés les premiers le 4 juin).
Ensuite nous sommes allés dans ce qui était accessible du sous-sol. Là, il y avait des meubles et toutes sortes de choses qui, je pense, avaient été déménagées du grand salon après le bombardement. Nous n'avons rien touché !...
De là, nous sommes remontés dans Iéna II pour aller au Platterhof car le temps passait et il fallait trouver nos camarades du RMT. Nous savions maintenant qu'eux et nous étions les seuls occupants de l'Obersalzberg et que nous allions survivre à la guerre.
Comme nourriture, nous n'avions que nos " K rations ". Nous sommes descendus à la cave et nos rations ont été arrosées par du champagne, du vin et un café cognac, tout français : une manière magnifique de finir la guerre dans l'endroit même où Hitler avait vécu avant guerre ! Nous avons bu très modérément. Mes camarades d'équipage avaient de deux à quatre ans de moins que moi et je n'avais pourtant que 24 ans. Ils étaient très sobres eux aussi.
A la tombée de la nuit, nous avons organisé un tour de garde parmi les cinq membres de l'équipage ; les quatre autres ont dormi dans le char pour la dernière fois de la guerre. Nous sommes réveillés à l'aube. Nous savions que les douze à quatorze heures que nous avions passé seuls avec nos camarades du RMT dans notre domaine étaient presque finies. Nous avons pris un petit déjeuner de rations K et très probablement un café cognac. Sachant ce qui allait arriver très rapidement à la superbe cave de l'hôtel, notre première pensée, à notre réveil, a été de mettre dans l'Iéna II une bonne quantité de champagnes, vins et bouteilles de toutes sortes pour faire de bons repas dans quelques semaines. Nous avons eu bien raison. La nouvelle s'est vite répandue et après les camions de la DB sont venus des camions américains. Mais la DB avait déjà bien fait son travail. J'ai vu la cave 24 à 36 heures après; elle était absolument vide à part un bon nombre de bouteilles cassées dans la cohue.
Nous savions aussi que nous allions avoir un grand nombre de visiteurs français et américains vu le lieu dans lequel nous étions. Nous avons mis l'Iéna II près du tournant où était la grande barrière qui menait à la résidence officielle de Hitler. Il y avait aussi des half-tracks à cet endroit pour que tous puissent voir chars et half-tracks avec nos croix de Lorraine, insignes de la DB. Hélas, l'histoire m'a prouvé que personne ne vit léna II dans son moment suprême !
Le 5 ou 6 mai, probablement le 5, notre camarade, l'Adjudant Albert Parmentier, est venu nous rejoindre, sans doute aux ordres du Capitaine de Witasse car, en tant que sergent, j'étais le plus haut gradé « char » sur place de la compagnie. [ Comme un geste spéciale Adjudant Parmentier a apporté les chars Eylau et Essling de 3ème Section de la 2ème Compagnie en l'honneur de leur Commandant, Lieutenant de la Bourdonnaye, qui a été tué chez Grussenheim ] A un moment, nous avons décroché d'un mur un grand tableau peint de Hitler et nous l'avons mis sur le devant du Iéna II. J'ai photographié l'équipage et l'Adjudant Parmentier avec le char et le tableau. (J'ai cette photo.) La vie du tableau a été très courte. Un camarade a allumé une cigarette, il a brûlé un trou dans la bouche de Hitler, après quoi il lui a mis la cigarette dans la bouche.., (Pas de photo de cela, hélas! Mais j'ai aussi une photo du groupe char assis sur un mur.)
Quand j'ai entendu par radio, le 8 mai, que la guerre était finie, nous étions toujours dans l'Obersalzberg. Nous avions passé des jours agréables là haut et, inévitablement, j'ai parlé anglais avec beaucoup d'Américains qui étaient dans le secteur et qui avaient été et pour qui nous avions été de bons compagnons. Ces derniers jours, l'équipage a dormi dans les chambres au Platterhof. Nous mangions toujours nos rations K car il n'y avait pas un Allemand, civil ou militaire dans l'Obersalzberg.
La chose la plus frappante a été le respect total de la part des Allemands pour ce lieu. Même les objets de grande valeur ont été laissés où ils étaient et l'équipage a fait de même ! Quand je suis revenu en Angleterre en juillet 1945, j'ai donné à ma mère la seule chose que j'avais prise dans l'Obersalzberg : une serviette de toilette marquée « Platterhof » ; elle en fut très contente...
Le 9 ou 10 mai, Iéna II est descendu à Berchtesgaden où nous avons trouvé nos camarades de la 2ème compagnie. Nous avons repris notre vie ensemble tout naturellement.
Mais pour l'équipage du char Iéna II de la 2ème Compagnie du 501ème RCC, le 4 mai fut un jour fantastique. Le hasard a voulu que de notre 2ème DB et de toutes les armées, notre char fut le premier à aller dans ce lieu unique et historique. Là étaient les résidences officielles et privées des chefs du III Reich et c 'était là que Hitler avait préparé cette page terrible de l'histoire des années trente...
Ce récit et dédié à CLAUDE PHILIPPON, LUCIEN ASPLANATO et DANIEL RENOU, tués sur le premier Iéna, le 16 novembre 1944 à Petitmont.
Gaston Eve, 16th November 1995.
[ L'équipage du Iéna 2:
Sergent Gaston Eve, Commandant de char
Philippe Bey-Rozet, Tireur
Georges Dornois, Radio/Chargeur
Maurice Amzallag, et puis Jean Brisse, Pilote
André Beaufils, Co-Pilote/Mitrailleur. ]
Le chemin du retour.
Vers le 10 mai, nous avons exécuté un grand déplacement d'une journée et d'une nuit et nous sommes arrivés, au petit jour, épuisés, dans un très beau village allemand, près d'un lac magnifique [ L'Ammersee ]. Dans les environs se trouvait un hôpital avec des blessés militaires allemands.
Voir Dachau a été une expérience épouvantable, et pendant bien des années, le souvenir m'est demeuré insupportable. Nous ne devrions jamais sont allés là-bas. Parce que mon pilote de char, Jean Brisse, savait son père, qui se tiendra à partir de là, nous avons demandé aux détenus, qui étaient dans un état épouvantable, à propos de son père. Ceux qui avaient connu lui nous a dit qu'il était mort deux ou trois semaines avant de typhus. [Brisse a reçu une lettre de sa mère tandis qu'à l'Obersalzberg. Il a informé que son père avait été déporté à Dachau, un énorme choc au milieu de toutes les célébrations. Il a à peine 80 km! Sur leur relevé à l'Obersalzberg Gaston et Jean allés ensemble en jeep pour voir s'il pouvait être secourus. Ils étaient trop tard, qu'il était mort. Pour ajouter à l'angoisse deux des anneaux de son père ont été retrouvés et restitués à Brisse, confirmant le sort de son père.]
Nous sommes rentrés en France et j'ai été malade, je n'avais plus ni force ni volonté. Souvent, j'ai pensé que c'était une réaction à tout ce que nous avions subi et enduré. C'est à ce moment là qu'on a demandé des volontaires pour l'Indochine. Je n'avais plus la volonté de me battre.
La veille de notre démobilisation, 30 à 40 des 120 FFL des premiers jours qui étaient toujours à la compagnie ont cotisé la somme nécessaire pour faire un dernier repas ensemble, avant de rentrer chez nous. Pas un de nos bons et chers camarades qui nous ont rejoint à Sabratha et qui ont tout fais avec nous n'a été invité, même pas le Capitaine de Witasse qui a fait le très grand geste de venir nous voir, à la fin de notre repas, et de nous parler chaleureusement. Il était inévitable que ce qui avais été forgé les premiers temps vienne à la surface et que nous nous rassemblions une dernière fois dans cet esprit, en mettant tout de l'autre à côté. De nos officiers il n'y en avait plus. De nos sous officiers je ne vois que Moullé car L'Adjudant Raveleau avait eu les pieds gelés à Grussenheim et n'était pas de retour. L'ambiance dans ce petit restaurant français, servi par des françaises a été belle jusqu'au moment où un camarade a demandé un silence vers la fin du repas pour les copains qui n'étaient plus là. Nous n'étions plus les petits gars de 17 à 20 ans de 1940/41 et à ce moment là, toute la misère d'avoir perdu de si bons camarades a pris le dessus. Le silence n'a pas survécu les minutes car il y a eu des sanglots étouffés et je sais que les larmes ont coulé le long de ma figure. Dans ces circonstances le silence est devenu impossible et un camarade a entonné une chanson et petit à petit tout le monde a pris part et ça c'est passé comme ça. Ce n'était pas une belle chanson car autrement cela aurait ajouté à notre tristesse et misère. Les paroles étaient très grossières. Il n'y avait pas d'autre solution mais, je me demande toujours ce que les dames qui nous ont entendu ont pensé de nous. J'espère qu'elles ont compris. Vers la fin du repas, le Capitaine de Witasse, qui nous avait donné le plus bel exemple de bravoure et de fidélité, est venu nous rejoindre et nous avons passé avec lui notre dernière demi-heure de «Chars». Il nous a remerciés et ce fut un très grand moment pour nous tous.
Je suis allé alors dans le parc à chars et me suis dirigé vers Montmirail et j'ai passé deux ou trois heures à mon poste de Pilote, à rassembler un tas de pensées et à revivre certains moments avec le Lieutenant Michard. Je ne suis parti que quand les camions qui devaient nous emmener sont arrivés.
Le Montmirail n'avait jamais été un simple engin de fer, et bien que j'aie fini la guerre avec de très bons camarades sur IÉNA II, mon cœur était resté avec lui.
J'ai dit adieu à tous mes camarades. A la gare Sainte Lazare, la petite Parisienne était là. Elle m'a accompagné à Rouen chez mon oncle. Il n'y a eu ni fiançailles ni demande en mariage mais nous savions que c'était pour toujours et j'ai demandé à Odette de venir en Angleterre quand elle aurait les papiers nécessaires.
Arrivé à Douvres, j'ai commencé à éprouver des ennuis. Je me trouvais en uniforme français, mes papiers n'étaient pas en règle et l'Angleterre n'a jamais été accueillante quand les papiers ne se trouvent pas en règle. Impossible de prendre le train où, pourtant, ma famille m'attendait à la gare de Victoria. A Londres, mon père, qui n'a jamais mâché ses mots, a fait un peu de bruit et j'ai pu rentrer chez moi mais j'ai dû me présenter aux autorités. Je me suis rendu au bureau de la compagnie d'aviation anglaise qui m'avait garanti ma situation à la déclaration de guerre, et Odette m'a rejoint. Nous nous sommes mariés le 10 octobre 1945. Pour moi, tout s'était parfaitement terminé.
Mon souvenir le plus profond et qui me revient souvent, est celui du Lieutenant Michard, et je reste très fier de mon Pays: l'Angleterre. Pourtant, je conserve une très profonde affection pour la France et la décision que j'ai prise en 1940 reste la plus belle de ma vie.
Quand je suis rentré chez moi, en 1945, je ne possédais que la Croix de Guerre donnée par le Général Leclerc et les mots d'adieux du Capitaine de Witasse. C'était parfait. De tous les certificats que j'ai reçus, celui qui m'a fait le plus plaisir m'est parvenu en 1985 avec les remerciements du Général de Gaulle du 17 septembre 1945. La France m'a accordé la retraite du combattant et je suis resté en liaison avec la famille du Lieutenant Michard.
Je suis très conscient des lacunes et des imperfections de mon récit. Pourtant j'aurais bien voulu écrire quelque chose qui soit digne de la 2ème Compagnie Autonome de Chars de la France Libre et de la 2ème Compagnie de chars du 501ème RCC.
Merci à vous, mes Capitaines !
Gaston EVE,
Pilote au char AUVERGNE en Afrique Lieutenant MICHARD,
Pilote du char Montmirail en Europe
Chef du char IÉNA II, mars, avril, mai 1945
Grade : Sergent
Engagé volontaire dans les Forces Françaises Libres à Londres en février 1941,