L'Est.
Nous avons fait bien des kilomètres avant de retrouver le front. Nous sommes arrivé à Gerjus prés de Villeblevin et avons repris notre routine de guerre. Tard un soir nous avons vu les phares d'une auto venant du côté allemand. Le Lieutenant Michard et le Sergent Jamette ont été au poste avancé et ont arrêté l'auto aux abords du village. Dans la nuit ils ont vu sur le siège arrière de l'auto un officier en grande tenue allemand. Quand ils se sont approché il y a eu un coup de pistolet et on m'a dit plus tard que cette balle avait traversé le côté du béret de Jamette. Le Lieutenant a tiré et, l'a tué avant qu'il puisse tirer une seconde fois. Le Lieutenant a coupé la ceinture de cuir et a pris le revolver allemand dedans. En regardent dans ces papiers il a vu que l'officier était Gauleiter de la région.
Le premier Octobre, nous sommes parti sur Rambervillers dans un terrain très boisé. La guerre était devenue très amère et sans pitié, bien qu'il n 'y en ait pas eu beaucoup jusqu'à présent. Comme avant, dans la forêt c'était le temps d'essai pour les chars. Nous étions de nouveau sur la route jusqu'à ce que quelque chose nous arrête. Si vous êtes le char de fil, ce portait juste malchance. Le temps était humide mais il ne faisait pas froid. Le terrain très boisé ne nous convenait pas tellement, mais il fallait passer par-là ! La compagnie a manœuvré et progressé dans les bois et par les lisières vers Anglemont. A un moment, nous nous sommes arrêtés et il y avait des officiers américains. Comme ils parlaient avec des officiers français, je suis sorti du Montmirail en cas de difficulté de langage. Un des Américains parlait français. Il était très impressionné par notre tactique et notre progression. En me parlant en anglais, ils m'ont dit que notre attaque avait été «Superb, absolutely superb».
Nous étions arrêtés par un bois épais qu'on ne pouvait traverser que par la route coupée par une barricade d'arbres abattus, sur 50 mètres. Il fallait assurer le dégagement nous-mêmes et le Lieutenant Michard a demandé un volontaire par char. Cinq d'entre nous se sont présentés; je représentais Montmirail. Le char qui devait retirer la barricade était Champaubert, piloté par mon très cher camarade Léo Jouhet. A pied, il y avait le Sergent Yves Triolet et quatre hommes. Au moment où nous allions démarrer, est arrivé en face un soldat allemand avec les mains en l'air. Il courait, puis a sorti ses papiers. Il était Autrichien. Or, le matin nous avions trouvé deux de nos Spahis tués le long d'un mur. Évidemment, ils avaient été fusillés. L'Autrichien a sorti une photo de sa femme et de six à huit enfants. Il était très inquiet et parlait, bien que nous ne puissions pas le comprendre. Je devais partir pour dégager la route et déminer (j'avais fait un stage de déminage à Sabratha), et quand je suis parti, j'ai dit aux camarades de ne pas le tuer.
Arrivé devant la barricade, Champaubert s'est mis au milieu de la route et mes très autres camarades et moi s'occupaient de mettre les câbles et de les attacher au Champaubert. [Avant qu'ils aient eu le temps de s'écarter] Le pied de Jouhet a dû glisser sur la pédale de débrayage car il a donné une secousse en marche arrière et il y a eu une explosion. Quand je me suis relevé, je me suis aperçu que j'étais blessé à la jambe et un autre blessé à la tête [Le tronc est tombée sur une mine tout près]. Le Lieutenant Michard m'a examiné et dit que ce n'était pas grave. J'avais un éclat dans le mollet, et il m'a mis un pansement à la jambe et m'a retiré ma chaussure pleine de sang. J'ai été évacué dans un half-track où il y avait d'autres blessés. Jouhet était désolé et tout ému. Mais il n'y était pour rien et je lui ai dit «A bientôt».
Le poste de secours était en toute première ligne et en avance de nos positions. Une fois arrivée au poste de secours les civières ont été déchargées et l'half-track est parti. J'ai eu le plaisir d'être reçu par des hommes avec un accent anglais. C'était les Quakers, [Pacifistes anglais, mis à la ligne de front par leur gouvernement] qui avait été avec nous si longtemps. J'ai été soigné par des Quakers, et nous avons parlé anglais. Nous étions six ou sept car il y avait aussi deux ou trois américains qui avait été blessés dans le secteur. Très peu de temps après mon arrivée j'ai entendu le bruit très caractéristique de chars allemands qui étaient près de nous et venaient vers nous. J'ai prévenu l'homme qui me soignait et tout c'est passé très rapidement. Il y avait une ambulance près de nous. Légèrement ou gravement blessé tout le monde a été balancé dans l'ambulance sans civière ou quoique ce soit. Les allemands ne nous ont pas vu mais ils devaient être très près car le mouvement des chenilles et le bruit de leurs moteurs était parfaitement clair.
L'ambulance est partie à toute vitesse à travers la forêt dans un terrain accidenté. Un des américains était grièvement blessé à l'épaule et souffrait beaucoup mais il n'était pas question d'hésiter ou de ralentir. Il a beaucoup souffert. Nous avions finalement trouvé une rue et un autre américain blessé avait besoin d'aller au cabinet. Il répétait et répétait "I want to crap" (Je veux chier). Il souffrait aussi de sa blessure. Il n'était pas question de s'arrêter et finalement il a fait dans son pantalon. Il n'était pas content !
Je suis arrivé à un hôpital de campagne américain. Tout était très bien organisé. Ma jambe a été passée à la radio et en peu de temps un chirurgien américain est venu dans la tente où devait être fait l'opération. Il m'a dit que le plus gros d'éclats était dans mon grand mollet et qu'il allait ouvrir le mollet en le glissant et retirer le plus gros. Il m'a dit que les tout petits éclats dans le restant de ma jambe pouvaient rester. L'opération a été vite faite, mon mollet a été gelé et coupé sur toute sa longueur sans douleur, mais avec le bruit du couteau qui traversait le muscle.
J'ai été emmené dans une très longue guitoune où il y avait beaucoup de blessés. Ma jambe ayant été mise dans du plâtre sans que la cicatrice soit cousue. Je suis resté-là deux jours, après quoi j'ai été dirigé sur l'Hôpital de la Croix Rouge à Lyon. C'était un autre monde pour moi. Il faisait bon et je dormais dans des draps. Au bout de quelques jours le plâtre a été retiré de ma jambe et ensuite j'ai été envoyé dans un autre hôpital de la ville. J'avais écrit au Lieutenant et à l'équipage dès mon arrivé à Lyon et j'ai reçu une réponse du Lieutenant Michard.
A cette hôpital j'ai rencontré un camarade de la Première DFL et nous avons passé beaucoup de temps chaque jour ensemble. Le docteur qui me soignait m'a dit qu'il fallait que je compte trois mois car il me faudrait de la réhabilitation pour que mon mollet se remette. Je lui ai dit que je tenais à rejoindre mes camarades. Il m'a donné des béquilles pour que je commence à marcher car jusqu'à présent j'avais été au lit et une dizaine de jours s'étaient passés depuis l'opération.
J'ai eu beaucoup de mal à marcher car mon muscle de mollet était tout juste cicatrisé et me faisait mal quand je mettais le pied par terre. J'ai persisté et persisté chaque jour. Je marchais avec les béquilles plusieurs heures par jour et je suais à grosses goûtes tellement je devais faire d'effort et de demande sur ma volonté.
Une quinzaine de jours plus tard je marchais, en hésitant, mais sans béquilles. Il y avait à peu près trois semaines que j'avais été blessé lorsque j'ai reçu une lettre du Lucien Asplanato, pilote du Iéna, qui m'annonçant la nouvelle que la section avait reçu le Iéna pour remplacer le Champaubert. J'ai toujours ces quelques lignes.
J'ai dit au docteur que je voulais partir. Il était un homme très bon et voulait me déconseiller. Le lendemain il m'a donné un papier me permettant de quitter l'hôpital. Je me souviens bien de lui. Je n'avais qu'une chaussure et j'ai trouvé une caserne ou peut-être une annexe à l'hôpital où il y avait des brodequins français. On m'en a donné une paire. J'ai passé trois ou quatre jours à attendre à la porte de l'hôpital une occasion pour aller dans les Vosges. J'ai profité de cette attente pour visiter la Foire de Lyon.
J'ai pu trouver une ambulance qui allait à Remiremont. Ça faisait un bon bout de chemin réalisé. J'avais une grande plaie à la jambe et Remiremont était sous la neige. Descendu à un carrefour, je n'avais pas bien chaud car j'avais été évacué sans manteau. J'ai eu beaucoup de chance en voyant arriver un camion de la DB. Il m'a débarqué dans un village. La Compagnie se trouvait dans les environs et j'ai pu rentrer dans ma section. Je les ai rencontrés 400 mètres au-delà d'où je les avais laissés.
Les nouvelles étaient bien tristes. La section était sans le Champaubert. Le Lieutenant Michard m'avait dit la triste nouvelle qu'il n'avait pas écrit à moi. Le 2 octobre le lendemain du jour où j'avais été blessé le Montmirail piloté par mon camarade Marc Casanova a fait une attaque à Anglemont avec Champaubert en tête. Le coup avait duré et le Champaubert avait pris plusieurs coups et Montmirail avait détruit deux chars allemands. Tous avait été tué à part le chef de char du Champaubert. Mon camarade Roger Norcy le tireur, un volontaire de 1940 qui était maintenant âgé de 22 ans. Léo Jouhet le pilote qui nous avait rejoint de la Côte d'Ivoire et qui s'était marié à Alger avec une très charmante femme qui était aussi dans ses trente ans. Il comptait les jours pour la revoir. Il était un homme très brave et très courageux car quand nous parlions ensemble il me disait parfois qu'il ne pensait pas survivre la guerre. Mon camarade Georges Renou, un jeune garçon de 18 ans qui nous avait rejoint de Tunis. Nous sortions souvent ensemble en permission. Il était un très gentil garçon, très calme et il n'était pas même assez vieux pour boire l'alcool ! Thomas aussi été tué et nos quatre camarades ont été enterré sur place.
Je ne sais pas ce que mes camarades m'ont dit à ce sujet, mais plus triste encore, l'Iéna avait été détruit. Claude Philippon, tireur et volontaire de 40, avait été tué (Le père de Claude est venu de Paris, sur le lieu peu de temps après et m'a écrit a ce sujet), ainsi que Lucien Asplanato, le pilote, qui m'avait écrit quand j'étais à l'hôpital. Tué, aussi, Daniel Renou, frère de Georges Renou tué sur Champaubert. [Les Frères Renou a été assigné à deux chars pour s'assurer que du moins l'un puisse survivre. C'est un autre grande malchance.] Le Iéna avait été détruit quelques jours plus tard lors d'une attaque à Petitmont avec Montmirail. Iéna était char de tête et est parti avec Montmirail. Il a été détruit par des coups de PAK75, un très puissant canon. Quelques secondes après le Iéna ait reçu des perforants Montmirail en a reçu un qui a percé le bouclier autour du canon mais n'a pas percé le blindage secondaire de la tourelle. Ce fut le deuxième coup direct qu'il a pris.
C'était un miracle que le Montmirail soit encore là mais l'obus perforant avait fait un trou à travers le bouclier du canon, après quoi il a percuté la tourelle sans la pénétrer. Le circuit électrique ne fonctionnait plus. Je suis allé le voir immédiatement pour vérifier le plein de mazout. Je me trouvais sur l'arrière du char quand j'ai entendu la voix du Capitaine de Witasse qui, sachant que j'étais revenu à la compagnie, était immédiatement venu me voir. C'était très chic de sa part et, quand j'ai entendu sa voix, j'ai sauté à terre comme d'habitude, mais ma jambe gauche a flanché et j'ai eu beaucoup de peine à ne pas tomber. Le Capitaine, avec beaucoup d'affection, m'a dit combien il était heureux que je sois de retour, et que j'étais le premier homme à pouvoir revenir après une blessure. Cette conversation ma renforcé dans ma volonté de servir la France. Ce soir là, j'ai eu le plaisir de dîner à la popote avec l'équipage. C'est Florkowski qui avait préparé le repas.
Peu de temps après, l'équipage s'est séparé du Lieutenant Michard. Le Montmirail est parti avec Casanova, Florkowski, Lhopital et moi, pour aller en réparation et le Lieutenant est resté avec le reste de la section. [Si le char d'un commandant de Section était hors de service il transférait sa commande à un autre char de sa Section et continuait de combattre. Évidement le travail d'un Commandant de Section était le plus dangereux. Il combattait le maximum d'heures de combat sans l'avantage de tous les repos imposés par les pannes de son char, et il passait ces heures supplémentaires de combat en position la plus exposées dans son char!]
Nous sommes restés peu de temps à l'atelier où nous avons touché un nouveau bouclier de canon. Le circuit électrique a été réparé. Le Lieutenant Michard nous a écrit (j'ai toujours sa lettre), en nous demandant de bien prendre soin du Montmirail... car il y avait encore un long trajet à faire avant d'atteindre Berlin. En arrivant à la Section, j'ai appris que j'avais une permission de huit jours. Je suis allé à Rouen où j'avais un oncle et une tante du côté français. J'ai atteint Darnetal en faisant de l'auto-stop. Je suis allé à la maison que j'avais connue quand j'étais tout petit mais mon oncle et tante avaient déménagé. Je suis parvenu à les retrouver.
On m'a indiqué où ils habitaient dans le village et j'ai retrouvé ma tante qui savais que j'étais soldat par un message de la Croix Rouge. Elle m'a reconnu et nous sommes allés rechercher mon oncle que je n'avais pas revu depuis 1937. Il travaillait dans un champ. Ce fut un moment très émouvant. Nous avons pleuré d'émotion tous les trois. Je me trouvais fort bien quand, au bout de quelques jours j'ai entendu à la radio que la DB était à Strasbourg. J'étais très déçu de manquer ce grand événement.
Mon oncle faisait du bon cidre. Le jour du départ, il m'a donné un poulet bien rôti et une bouteille de Calvados. J'ai retrouvé le Lieutenant Michard et le Montmirail avec beaucoup de plaisir. Nous avons mangé ensemble les provisions. Le Calvados que j'ai offert au Lieutenant a duré fort longtemps car nous ne buvions pas beaucoup. Le Lieutenant portait toujours un bidon d'alcool à sa ceinture. Il s'en servait pour les blessés et les malades. Nous ne buvions jamais avant le combat. Nous étions très bien en Alsace. Quand nous ne nous trouvions pas au front, nous prenions nos repas en équipage avec une famille à qui nous offrait à manger. C'étaient des moments très agréables.
En décembre, la Section a été envoyée dans un village qui avait beaucoup souffert. Il y avait des camions, des autos, des canons et des chars détruits. La plupart des maisons étaient vides. Les habitants restants, demeuraient dans les caves. Ils s'éclairaient à la bougie.
Nos quatre chars prenaient la garde à tour de rôle. Je dormais toujours habillé. Nous nous trouvions dans un couvent de sœurs qui restaient dans leur cave, mais j'étais gêné de coucher dans la chambre d'une sœur et j'ai été reprendre mon sac de couchage pour coucher ailleurs.
Le Lieutenant m'a dit qu'il partait en permission à Ancimet [Près du village de Doyet], dans l'Allier, et il est parti tout joyeux après six ans d'absence. Il est revenu vers le 15 janvier très heureux d'avoir retrouvé sa famille et de ne pas avoir manqué un combat. Il y avait bientôt quatre ans que j'étais avec lui et nous avions une véritable amitié entre nous. Il avait 31 ans, et moi 24. Il menait une vie très morale et je partageais son idéal. Il m'a dit que son grande père avait beaucoup de joie de le voir fiancé. Ce n'est que 36 ans plus tard que j'ai vu la photo de la jeune femme qui a été sa fiancée pendant environ trois semaines.
Avant de rentrer en Alsace, j'ai eu le pressentiment que le Lieutenant Michard et moi approchions la fin de notre vie ensemble. J'ai écrit à Odette, la petite Parisienne de la Place de la Sorbonne avec qui je correspondais, que ça ne pouvait pas continuer et que, soit moi, soit le Lieutenant, l'un de nous allait être tué. J'ai écarté ce pressentiment et nous sommes partis de Lorraine, la nuit et par un grand froid, sans phares, au milieu d'une tempête de neige. Ce voyage dans la nuit fut une véritable épopée pour les pilotes. Il y avait du verglas, des précipices. De temps à autre, nous nous arrêtions et le Capitaine venait voir chaque équipage, après quoi, il retournait en tête de colonne.
Enfin, nous sommes arrivés à Sélestat. Il faisait grand jour. Mais il n'y avait plus que la moitié des chars en état de combattre car beaucoup devaient aller en réparation.
Journée du 27 janvier.
L'effectif de la 2ème Compagnie de 501ème RCC était fort réduit en chars. C'était de sept chars le matin du 27 janvier. De la Section Michard, il n'y avait plus que : Montmirail et Arcis Sur Aube. La 2ème Compagnie est partie de son point de départ vers midi, accompagnés de quelques half-tracks d'infanterie. Il faisait froid et il était tombé beaucoup de neige. Les chars avaient été peints en blanc depuis quelques temps. Chars et half-tracks sont partis en colonne sur une route qui était à l'arrière du front. Nous sommes arrivés au abord de Grussenheim environ une demi-heure plus tard. A ce moment, nos chars ont quitté la route et se sont avancés à travers champs vers le village. Nous sommes arrivés à un endroit où il y avait un char de la 3ème Compagnie qui avait été détruit. Le char portait tout le désordre des coups qu'il avait reçu et, l'évidence que certaines membres de l'équipage avaient survécu car les portes avant restaient ouvertes et un de nos camarades était resté allongé, sans mouvement sur le haut d'une tourelle. Nous sommes passés tout près et à 200 mètres plus loin, nous avons trouvé un très long canon allemand sur chenilles. Il avait immédiatement à sa droite une grande haie qui le cachait complètement. Le devant et l'autre côté étaient enfouis dans la neige et il était encore en camouflage d'été. Heureusement pour nous il avait été abandonné sans doute par l'action de la 3ème Compagnie. Il n'y a pas eu de relève car il n'y avait personne sur place.
Il y avait beaucoup de tirs d'armes de toutes sortes. Nous avons avancé sans dégâts jusqu'à un endroit où il y avait une haie très haute et épaisse qui nous séparait de Grussenheim. Cette haie montait jusqu'à hauteur de nos canons. Deux ou trois cent mètres plus loin, il y avait un bois au travers lequel on voyait le village de Grussenheim.
Nous avons reçu et rendu beaucoup de feu d'un part et d'autre et nous étions obligés de changer constamment d'emplacement pour ne pas être atteints. L'Infanterie était à côté de nous le long de la haie et était très active mais peu nombreuse. Les conditions nous permettaient de sortir des chars de temps en temps pour parler ou casser la croûte. A un moment, je suis monté sur l'arrière de Montmirail avec le lieutenant Michard pour mieux me rendre compte du terrain devant nous. J'ai vite compris qu'il devait être très éprouvé quand nous avons entendu des balles siffler. Quelques temps après quand nous marchions le long de la haie, nous avons trouvé une civière abandonnée. Nous l'avons pliée sur l'arrière du Montmirail, pensant qu'elle nous serait peut être utile pour dormir à tour de rôle, si l'occasion se présentait. J'ai profité d'un moment de calme pour aller voir le camarade allongé sur la tourelle d'un des chars de la 3ème Compagnie. Je suis monté sur le char [Le Chemin des Dames] et j'ai pu constater qu'il était mort. Je l'ai laissé surplace car je me suis fait prendre sous le feu des armes légères du haut de la tourelle. Ce camarade s'appelait Armand Mager et je l'avais connu à Camberley. Je crois que, comme moi, il était de père anglais.
La nuit est tombée sans que nous ayons beaucoup fait de progrès et nous sommes restés surplace par équipage. Nous avons continué à changer l'emplacement des chars de temps à autre. La nuit a été très froide et sans sommeil. La civière est restée sur l'arrière du char.
Les Allemands ont contre-attaqué très fortement deux fois pendant la nuit, mais nous les avons repoussés. Chaque attaque était illuminée par toutes sortes de fusées mais je ne sais de quel côté elles étaient lancées. Elles nous ont permis de nous défendre.
Journée du 28 janvier.
Quand le jour s'est levé, nous avons fait du café et mangé. Notre moral restait excellent, mais notre plus grand inconfort résidait dans les chaussures américaines qui prenaient l'eau et nous avions les pieds trempés.
Les premières heures de la matinée ont été très calmes.
Vers 9 ou 10 heures du matin, nous avons vu les trois autres chars de la compagnie s'avancer vers un pont qui menait à Grussenheim. C'était un pont qui avait à peu près la largeur d'un char. [ Mis sur le fleuve par les ingénieurs, plusieurs entre eux ont été blessé ] Dès que le char de tête s'est engagé sur le pont, un obus l'a frappé et il a été dé-chenillé. Il est resté sur place arrêtant tout progrès. Je crois que c'était l'Ulm. [ L'Ulm, de la 2ème Section de la 2ème Compagnie. Suivi vite par une autre victime, le Phoque, un "Tank Destroyer" de 2ème Section de 2ème Escadron RBFM ["Régiment Blindée de Forces Marins"]. Un régiment formé des équipes Marine Français.] Peu de temps après le Lieutenant Michard a rassemblé ses deux équipages et nous a dit que nous allions essayer d'entrer dans Grussenheim par une autre direction pour créer une diversion. Montmirail et Arcis Sur Aube avec deux ou trois HT [Half-Tracks] d'Infanterie ont rejoint la route qu'ils avaient quitté la veille pour trouver leurs nouveaux points de départ. Nous sommes allés à Jebsheim (je crois).
Il y avait là beaucoup de camions et autre matériel qui n'était pas à la 2 ème DB. Nous n'avons vu personne, ni un civil ni un militaire, pendant la traversée du village.
Nous nous sommes placés aux abords de Jebsheim, face à Grussenheim, que nous voyions au loin. Il y avait des maisons derrière et à gauche de nous et en face, face à Grussenheim, il y avait quelque chose comme une vigne qui était très haute et était maintenue par un cadre et plusieurs rangées de fils de fer. A notre droite il y avait une route qui allait en ligne droite sur Grussenheim. Il y avait des arbres le long de la route et à 300 ou 400 mètres à droite de celle-ci et sur toute la longueur de la route, Il y avait un bois très épais. D'où nous étions, nous pouvions voir l'endroit où étaient les deux autres chars et le peu d'infanterie qui devaient attaquer pendant nos diversion.
Nous sommes arrivés à notre point de départ vers midi. Le Lieutenant Michard nous a dit que nous partions à 13 heures exactement. Le jour était très clair et la visibilité bonne. Devant nous, était le terrain que nous devions traverser et, au bout, Grussenheim. Alors nous avons passé le temps à casser la croûte, arrosée d'un peu de vin que le lieutenant Michard avait trouvé dans une maison abandonnée. Nous avions très peu à nous dire l'un et l'autre, mais nous étions très calmes. Je pense que, comme moi, mes camarades ont réussi à faire face à l'inévitable avec détermination. Je me souviens que certains d'entre nous se sont serrés la main automatiquement car, c'était évidemment la fin de la route pour la compagnie.
Un peu avant 13 heures, le Lieutenant Michard nous a rassemblés et nous à répété ses instructions. Tracqui, qui pilotait Arcis Sur Aube et moi sur le Montmirail ont eu ordre de foncer sans arrêt jusqu'à Grussenheim. Ensuite, le lieutenant Michard a passé le bidon de cognac qu'il avait à la ceinture et chacun a bu un gorgée ou deux. Après quoi, il est parti pour couper le fil de fer de la vigne, en face d'Arcis-Sur-Aube et Montmirail, pour que nous passions, sans la déraciner et démolir son grand cadre.
A 13 heures, exactement, nous avons démarré, à toute vitesse et en ligne pour limiter l'objectif vu de la lisière du bois. Montmirail était tout à fait à droite, ensuite Arcis Sur Aube et ensuite les half-tracks. II y a eut un élément de surprise car, pendant les 300 premiers mètres, il n'y a eu aucune réaction de la lisière du bois. A partir de ce moment-là, tout a changé, et nous avons été l'objet de tirs considérables de la lisière de bois. Les obus qui arrivaient étaient manifestement des perforants car, devant Montmirail, il y avait des bouffées de neige, fait par chaque obus qui allait à terre, sans la grande explosion des obus explosifs.
La terrain était complétement découvert et, en regardent à ma gauche, je voyais les même bouffées de neige autour Arcis Sur Aube et les half-tracks. Quoique le terrain parût plat sous la couverture de neige, le Montmirail, marchant à toute vitesse, était en mouvement constant et souvent brusque, et nous ne pouvions répondre aux tirs ennemis. La vitesse des chars et les crochets, et la proximité des cannons allemande rendaient a rendu difficile la tâche des tireurs ennemis. Nous sommes tous arrivés indemnes, quoique vers la fin du trajet, nous étions pris de l'arrière.
Nous nous sommes mis hors de vue de la lisière du bois. Le Lieutenant Michard est descendu de Montmirail pour parler à l'Officier d'Infanterie et est revenu dans le char.
Dès le début, nous avons été sujets d'un tir des armes automatiques et de bazooka. Le feu, léger au début, s'est rapidement intensifié et nous avons été obligés de nous déplacer. Le danger était trop grand pour le Montmirail reste sur place et nous avons immédiatement commencé à faire la navette le long de Grussenheim sur un longueur de 100 à 150 mètres. Le très peu d'infanterie que nous avions ne pouvait pas s'établir et nous les voyions de temps à autre dans des conditions très difficiles et nous les soutenions ou ils nous soutenaient comme nous pouvions.
Dès le début, le Lieutenant Michard a été la cible de tireurs isolés. Comme d'habitude, sa tourelle restait ouverte. Il portait son casque de char et, par-dessus, un casque d'infanterie qui lui recouvrait la tête jusqu'au dessus des yeux. Sa hauteur lui permettait d'avoir les yeux juste au-dessus de la tourelle et de voir de tous les côtés. Ses ordres, sur l'intercom étaient toujours parlés calmement, jamais criés et étaient, et ont été constants. En tant que pilote, j'avais le temps de constater ce qui se passait. Parfois, quand le danger était évident, il me chuchotait presque ses ordres comme s'il pensait être entendu hors du char et notre manœuvre prévue par l'ennemi. A ces moments il y avait urgence calme dans sa voix, après quoi il disait «Bien» à son tireur, ou, à nous tous «II a fait chaud» ou quelque chose comme cela.
Rapidement, le premier vide d'obus a été dépensés de la tourelle et cela a été répété plusieurs fois dans l'après-midi. La tourelle tournait sans arrêt et Montmirail bougeait sans cesse. Nous recevions constamment des ordres et le temps, sans que nous le sachions, passait très vite.
Au bout d'environ une heure, l'attaque ne venant pas de notre gauche, et la présence de bazooka, d'un ou deux chars allemands et le feu d'armes automatiques se faisant de plus en plus sentir, le Lieutenant Michard a envoyé son premier appel par radio. Il a répété deux fois : «Sommes installés à la patte d'oie. Demandons renforts». J'ai entendu l'appel par mes écouteurs mais il n'y a pas eu de réponse. Nous avons continué à manœuvrer et à tirer ça et là.
Environ, 30 à 60 minutes plus tard, le Lieutenant a répété, avec le même calme, exactement le même message, deux ou trois fois, et il n'y a pas eu de réponse. Il n'y avait toujours pas d'attaque venant de notre gauche.
Pendant nos manœuvres, nous sommes passés, toujours aux abords de Grussenheim, à côté de notre infanterie et le Lieutenant a parlé avec l'officier d'infanterie. Je ne sais pas que lui a dit. Après quoi il m'a dit : « Plus vite mécano », et nous sommes retournés au carrefour (la patte d'oie) et d'avancer dans le village par la rue qui venait de Jebsheim. Une des maisons de cette rue brûlait et de la fumée venait de celle d'à côté. J'ai vu près de nous quelque uns de nos fantassins et il y avait beaucoup de tirs d'un côté et de l'autre. Le Montmirail est arrivé à une route transversale à celle dans laquelle nous étions. Le Lieutenant m'a dit d'avance très doucement et de regarder à ma gauche. De ma position, j'ai vu un char allemand qui était de face, mais dont la tourelle n'était pas tout à fait dans notre ligne. J'ai fait une brusque marche arrière et j'ai prévenu le Lieutenant
Un peu de temps après, le Lieutenant m'a dit d'avancer à nouveau très lentement. Le char allemand n'était pas là, et nous avons eu juste le temps de voir le bout de son canon disparaître. Il faisait marche arrière dans la rue perpendiculaire à la notre. Nos deux chars étaient séparés par deux rangées de maisons. Comme nous ne pouvions pas nous mettre dans sa ligne de tir, le Lieutenant Michard m'a dit de faire marche arrière dans la rue d'où nous étions sortis. Il a dit à Lhopital de charger à perforant et à Florkowski de faire tourelle à gauche. Nous avons tiré à perforant à travers les maisons pour avoir le char allemand de côté. Les événements suivants ont prouvé que cela avait été sans succès. Après cela nous sommes restés dans Grussenheim en manœuvrant de place en place mais sans aller jusqu'à la rue dans laquelle nous avions vu le char allemand attendait de nous passions.
Notre situation était intenable car nous avions toujours trop peu d'infanterie. Le Lieutenant Michard nous a dit que nous allions essayer de prendre le char ennemi par l'arrière, et le Montmirail est reparti au croisement à l'entrée du village. Avant d'y arriver, nous avons entendu des explosions très sèches de combat entre chars. Nous avons appris que c'était Arcis Sur Aube qui se battait contre un char allemand. Le lieutenant Michard m'a donné une direction et nous sommes arrivés à un endroit où, pendant un second, nous avons vu le coin arrière d'un char allemand disparaître derrière un mur qu'il avait démoli pour s'échapper.
Quelques minutes plus tard, nous avons vu deux chars allemands qui battaient en retraite de Grussenheim. Ils étaient assez loin et ont disparu sans que nous puissions les toucher. Cela nous a beaucoup encouragés.
Il n'y avait toujours pas le signe de l'attaque prévue de l'autre côté du village. Il y avait environ trois heures que nous étions là. Notre tourelle tournait de plus en plus lentement car les batteries commençaient à faiblir. Le Lieutenant parlait soit avec le chef de char d'Arcis Sur Aube, soit avec l'Officier d'Infanterie. Nous sommes repartis en navette et le Montmirail s'est retrouvé au carrefour que nous connaissions bien. Le Lieutenant était très calme et très maître de lui-même et de la situation qui était devenue plus favorable. Il m'a dit de pénétrer dans le village et j'ai tourné le Montmirail en direction de la rue qui nous menait à l'intérieur du village et que nous avons déjà prise.
A ce moment-là, j'ai entendu un «Tourelle à droite» très calme mais très définitif. J'ai tourné mon périscope pour voir ce qu'il se passait. J'ai vu un Allemand au milieu de la route, qui était à notre droite. Il avait en vue tout le côté du Montmirail. Il avait un genou à terre et avait un bazooka sur son épaule. Il a tiré pendant que notre tourelle tournait et a eu le temps de sauter derrière un mur. Notre explosif a percuté juste l'endroit où il avait été. Avec le tir du bazooka, il y a eu une commotion dans la tourelle et une petite secousse. Le lieutenant Michard était complètement dans la tourelle, un peu secoué mais pas blessé. Il dit que nous avions pris un coup sur la tourelle, exactement au même endroit que dans la Forêt d'Écouves. En fait, quoique l'allemand ait été à 30 à 40 mètres de nous, il avait tiré trop haut et avait touché et arraché la toute petite coupole qui formait une entrée d'air en haut du Montmirail.
Le coup avait déréglé notre tourelle qui ne tournait plus maintenant qu'à la main. Le Lieutenant m'a guidé en marche arrière, mais dès la début de cette manœuvre, je n'ai pu recevoir d'ordres. Je me suis tourné pour regarder dans la tourelle et j'ai vu que le lieutenant était debout. Il avait ses deux bras croisés sur la culasse du canon et sa tête appuyée sur ses bras. Il y avait un tout petit filet de sang qui coulait de sa tempe. Il avait dû avoir un moment d'inattention en me guidant.
Mon jeune co-pilote, Casanova, est immédiatement sorti du Montmirail pour monter sur la tourelle et aider le lieutenant. Étant debout sur le char, il a eu la chance d'être raté par une rafale et a dû sauter dans sa place. Notre tireur, Florkowski, m'a dit de faire marche arrière et m'a guidé jusqu'à ce que le char soit le long d'un mur qui montait à environ mi-tourelle. Il a dit à Casanova de venir dans la tourelle où le Lieutenant était toujours debout et m'a dit de venir sur la tourelle pour tirer. Ils ont poussé le lieutenant et je me suis mis debout sur la tourelle et j'ai mis mes bras sous ses épaules. Nous avions du mal à le soulever. Il y avait une petite marche à l'intérieur de la tourelle sur laquelle on mettait un pied pour sortir ou rentrer. Un de mes camarades a mis le pied du lieutenant sur la marche et lui a dit de pousser ce qu'il a fait sans rien dire. De ce fait nous avons pu mettre toujours debout, sur le côté avant du char où un de mes camarades m'a rejoint pour m'aider à le descendre sous un tir d'armes qui nous a tous trois manqués.
Le lieutenant avait les yeux fermés et ils sont restés fermés tout le temps qu'il a été avec nous. Il ne se plaignait pas du tout, semblait n'avoir aucun mal et n'a jamais porté la main à sa tête.
J'ai continué à le maintenir par les épaules et mon camarade (Je ne me rappelle plus lequel) lui a tenu les jambes. Le feu d'armes que nous subissions nous a obligé à précipiter et, pendant la descente, le Lieutenant a perdu deux gros morceaux de cervelle. Ce n'est qu'à ce moment-là que nous avons vu qu'il avait un grand trou derrière la tête, assez près du cou. Une fois à terre, nous étions tous hors de danger. Nous avons déplié la civière qui était resté sur l'arrière du Montmirail et avons mis un pansement autour de la tête du lieutenant, après quoi nous l'avons allongé.
Je suis resté à côte de lui et me suis assis. Après quelques moments, sans que je lui parle, il a dit : «Sauvez-moi». Comme il avait les yeux fermés, je lui ai dit : «C'est Eve qui vous parle. Vous êtes hors du char, vous êtes sauvé». (J'ai hésité à écrire cela et je le regrette un peu car le lecteur peut s'imaginer que le lieutenant Michard ne pensait qu'à lui même. C'est ne pas le cas. Il était avant sa mobilisation en 1939 clerc minoré et il avait un croyance et une foi profonde. Sur le moment, j'ai pensé et cru qu'il s'adressait à moi et je lui ai parlé en réponse. Mais il est très possible qu'avec sa grande Foi, le «Sauvez moi» était adressé au Dieu qu'il aimait tant.)
Un peu plus tard, quand je parlai avec quelqu'un à côté, le lieutenant s'est assis sur la civière et a essayé de se mettre debout. Il a dit, de nouveau, «Sauvez-moi». Je lui ai répété qu'il était sauvé et l'ai aidé à s'allonger. Cela paraît incroyable, mais il n'y avait toujours qu'un petit filet de sang sur sa joue et rien ni sur ses habits ni sur le civière. Arcis Sur Aube, l'infanterie et les half-tracks étaient réunis à côté du Montmirail et je ne sais comment tout cela a été fait. Un des half-tracks est venu près du Montmirail car il avait été décidé que nous restions et que le lieutenant et quelques blessés allaient être évacués par half-track. Nous n'avions pas de secours avec nous. Nous avons chargé la civière dans le half-track avec d'autres blessés, et il est parti à toute allure vers Jebsheim, encerclé d'éclats d'obus. Je l'ai vu entrer dans Jebsheim et, à ce moment là, j'ai vu un ou deux de nos chars qui semblaient arrêtés aux abords de Jebsheim, juste à côté de la route qui menait à Grussenheim. Nous sommes remontés sur Montmirail. Florkowski était chef de char et je ne sais pas qui était tireur entre Casanova et Lhopital.
Je ne sais pas ce qui s'est passé après ça. Peu de temps après, Florkowski m'a dit que nous repartions sur Jebsheim et du fait, Montmirail, Arcis Sur Aube et les half-tracks sont repartis à toute vitesse, sans être touchés par les tirs qui nous encadraient. Je n'ai pas vu les chars qui allaient nous remplacer mais quand je suis sortis du Montmirail j'ai vu qu'ils étaient aux abords de Grussenheim.
Il pouvait être 16 h 30 et on voyait que la nuit approchait. Nous sommes sortis de nos chars et half-tracks derrière la vigne, à l'endroit où nous étions partis. Nous avions un petit drapeau français avec un croix de Lorraine que notre marraine de guerre nous avait donné à Rabat. Nous ne l'avons pas porté depuis la libération de Paris et nous l'avons piqué à l'endroit prévu sur la tourelle du Montmirail toute de suite, en signe de défaillance sans doute.
Peu de temps après le Capitaine de Witasse [ Commandant de 2ème Compagnie 501 RCC ] est venu vers le Montmirail où il s'attendait à voir le lieutenant Michard. Nous lui avons dit qu'il avait eu une balle dans la tête. Il nous a appris alors que le Lieutenant de la Bourdonnaye [ Commandant de la première section ] avait été tué et que l'aspirant sur l'autre char avait été blessé. [ Le capitaine a fait référence à Aspirant Richardeau, Commandant de la 2ème Section. ]
Après un moment, il nous a regardé et a dit : «Plus un Officier» et s'est mis à marcher autour du Montmirail et de l'Arcis Sur Aube, en baissant la tête et répétant «Plus un Officier». Il a fait trois ou quatre fois le tour des deux chars pendant que nous le regardions, puis s'est arrêté devant nous. Il nous a dit que le Lieutenant-Colonel Putz et un ou deux de ses Officiers avaient été tués par un obus. Je ne pu que penser à cela et a la mort du Lieutenant de la Bourdonnaye qui a rendu impossible l'attaque pour laquelle nous étions en diversion.
Le Capitaine de Witasse nous a dit de nous reposer pour la nuit à Jebsheim, puis il est reparti vers Grussenheim. Quand J'ai voulu mettre les moteurs de Montmirail en route, cela a été impossible car nos batteries étaient à plat. Ça été un triste moment et le Montmirail a dû être remorqué.
Le lendemain, le front était loin de là. J'ai allé voir un médecin au poste de secours. C'était un docteur que j'avais connu en Afrique et qui connaissait le Lieutenant Michard. Il nous a dit qu'il avait été évacué vivant mais qu'il était mort dans la nuit. Il nous a dit que même s'il avait survécu, il aurait eu une incapacité complète et n'aurait reconnu personne. Le Lieutenant Michard avait été mortellement blessé dans les derniers instants du notre combat de notre guerre.
La Compagnie est rentrée le lendemain à Sélestat.
Peu de temps après, le Général Leclerc est venu nous voir. Je me souviens que nous sommes allés sur le trottoir devant la maison où nous étions. Nous étions quinze à vingt. Nos chars n'étaient pas là. Il y a eu un simple Garde-à-Vous dans la rue. Le Général Leclerc nous a parlé très simplement. L'ambiance était fière mais triste : nous étions tellement peu ! En dépit de toute notre volonté, nous savions que nous n'étions plus en état de combattre pour le présent.
Pensant que le Lieutenant devait être enterré dans les environs, nous avons fait faire une croix de bois pour aller là mettre sur sa tombe. L'inscription était simple:
«Lieutenant Louis Michard. 28.1.45. F.F.L.»
Quoique nous soyons restés dans la région une semaine ou deux, il nous a été impossible d'établir où il était enterré. Nous avons gardé la croix dans le Montmirail pensant là placer un jour. Avant de partir pour l'Allemand nous avons brûlé la croix dans un champ français.
Grussenheim fut notre dernier combat et le Lieutenant Michard a été mortellement blessé dans les dix à quinze dernières minutes du combat et mon récit a été écrit avec un souvenir qui reste clair et dévoué, par le Pilote du char du Lieutenant Michard, avec qui il a fait équipage de février 1941 au 28 janvier 1945.
Gaston Eve, 21 et 22 février 1982.
[ Malheureusement la rédaction de Gaston se termine ici, exactement comme, dans la guerre, il a cessé de maintenir son journal intime le 17 février 1945. Je pense que sur tout les deux occasions la tristesse étant, donné les pertes des amis, trop dur. Émile Fray (de l'équipe de Montereau et Montereau 2) m'a dit que les équipages ont été envoyés au Camp D'Avord à Bourges pour enseigner recrues et à former de nouveaux équipages. Alors, j'ai reconstruit le reste de l'histoire de, son pages manuscrites de l'Obersalzberg que mon père m'a envoyé, quelques pages brouillon de notes et de deux de ses lettres.
L'équipage de MONTMIRAIL:
Lieutenant Louis Michard, Commandant de char (et Section);
Sgt Étienne FIorkowski, Tireur;
André Mengual, Radio et Chargeur; (remplacé Paul Lhopital, blessé 24 août à Paris)
Sgt Gaston Eve, Pilote;
Marc Casanova, Aide-Pilote.
L'équipage de l'ARCIS-SUR-AUBE:
Sergent Julien Vergnory, Commandant de char;
Roland Hoerdt, Tireur;
Jean de Valroger, Radio et Chargeur;
Sergent François René Tracqui, Pilote;
Pierre Régnier, Aide-pilote. ]